Les répercussions des camions sans chauffeur : une série

En avril 2016, 12 camions représentant les plus grandes entreprises de transport européennes que sont DAF, Daimler, Iveco, MAN, Scania et Volvo ont rejoint la ville portuaire de Rotterdam, aux Pays-Bas. Ils provenaient de destinations éloignées telles que le sud de l’Allemagne et leur arrivée n’avait rien d’ordinaire : il s’agissait là du premier trajet transfrontalier européen pour une flotte de camions sans chauffeur, offrant un aperçu de l’avenir du transport de fret. Retour en février 2018. Cet aperçu se transforme en vision. En effet, la startup californienne Embark vient d’expédier avec succès un camion sans chauffeur sur les quelques 4 000 kilomètres qui séparent Los Angeles, en Californie de Jacksonville, en Floride.

Ainsi, cette série d’articles abordera de quelles manières l’inévitable développement des camions sans chauffeur affectera non seulement les acteurs directs, comme l’industrie du transport et de la logistique européenne représentant plus de 100 milliards d’euros et ses 2,4 millions d’employés du transport routier, mais également l’environnement et la sécurité du grand public.

Partie 1 : Les camions sans chauffeur et l’industrie du transport et de la logistique

Si l’on considère que 75 % des marchandises européennes et 70 % des marchandises américaines sont acheminés par camion et non par bateau ou par avion, même le plus petit aménagement du transport routier a des répercussions considérables sur l’ensemble de l’industrie du transport et de la logistique. Parmi les services logistiques, le transport routier représente 580 millions d’euros de recettes annuelles et, rien qu’aux États-Unis, un taux de croissance annuel estimé à 3,4 % jusqu’à 2023. Il n’est donc pas surprenant que les grands acteurs internationaux tels que Google, Uber et Tesla, ainsi que plus de 40 startups californiennes, comme Embark et Otto, souhaitent rejoindre les entreprises spécialisées dans le transport longue distance, comme Volvo, Daimler et DHL, sur la voie qui mène aux camions sans chauffeur.

L’arrivée de ces camions sans chauffeur est peut-être la raison pour laquelle on s’attend, jusqu’en 2023, uniquement à un taux de croissance ne dépassant pas 3,4 %. Après l’introduction et la normalisation des camions automatisés, le taux de croissance de l’industrie du camionnage pourrait fortement augmenter. Ce taux de croissance, qui devrait atteindre 50 % d’ici la fin de la première décennie d’utilisation à grande échelle des camions sans chauffeur, peut s’expliquer quand on mesure à la fois la réduction des coûts et l’augmentation de la productivité que permettent les camions pilotés par des données et des capteurs.

Les camions sans chauffeur : réduction des coûts et augmentation de la production

Selon Morgan Stanley, les camions sans chauffeur devraient permettre à l’industrie du transport de fret d’économiser 136 milliards d’euros par an. Si l’on considère que la main-d’œuvre représente 21 % des frais de fonctionnement par kilomètre, la majeure partie de cette économie des dépenses devrait être réalisée en réduisant les coûts de main-d’œuvre, ce qui pourrait aller jusqu’à représenter une économie de 57 milliards d’euros par an. La deuxième partie de cette série traitera ce sujet plus en détail, particulièrement en ce qui concerne la redistribution des responsabilités liées à l’utilisation de camions sans chauffeur.

L’augmentation de la productivité, résultat de l’autonomie que possèdent les camions sans chauffeur, capables de rouler pratiquement 24 heures par jour (contrairement aux chauffeurs à qui on impose une limite de 11 heures de conduite par jour), devrait représenter une économie de 22 milliards d’euros chaque année. Un poids lourd sur les routes à plein temps implique des délais de livraison plus courts et, par conséquent, une augmentation du nombre des livraisons et du chiffre d’affaires.

Malgré ce grand nombre d’heures sur la route, on peut toutefois programmer les camions autonomes à une vitesse optimale afin de maîtriser efficacement leur consommation de carburant. Ainsi, les entreprises de transport pourraient réaliser une économie annuelle de carburant de 29 milliards d’euros, ce qui entraînerait une réduction des factures de carburant de 4 à 7 % et une économie annuelle de 6 500 euros par camion. Nous développerons plus précisément le sujet de la conduite automatique et de ses effets sur l’environnement dans la quatrième partie de cette série.

Au-delà de l’épargne financière, la perspective d’épargner des vies humaines est elle aussi un point qui mérite d’être abordé. La réduction des accidents et du coût de l’assurance liée aux accidents potentiels devrait atteindre 29 milliards d’euros par an. Si l’on considère que 90 % des 4 000 décès en moyenne causés par des accidents de camions est le résultat d’une erreur humaine, l’argument le plus exemplaire en faveur de la transition vers les camions autonomes semble résider dans le nombre de vies susceptibles d’être sauvées chaque année.

L’adoption des camions sans chauffeur : un phénomène inévitable

Si l’on considère les économies qui pourraient être potentiellement réalisées en faisant appel aux camions sans chauffeur, il n’est pas étonnant que dans leur rapport de l’été dernier, McKinsey & Company prévoyaient que, d’ici 2025, au moins un nouveau poids lourd sur trois serait doté d’une technologie d’automatisation de pointe. De leur côté, les analystes de l’industrie automobile d’IHS estiment que les ventes annuelles de camions autonomes pourraient atteindre 600 000 unités par an d’ici 2035.

Pour les propriétaires de camions impatients de rejoindre le monde de l’automatisation, l’installation de systèmes de capteurs transformant un camion manuel en un camion intelligent coûterait actuellement environ 80 000 euros par camion. Cependant, la startup californienne Otto envisage de réduire le prix de cette technologie à 24 000 euros, ce qui permettrait un amortissement sur environ un ou deux ans. Ce scénario est convaincant si l’on considère le fait que plusieurs leaders de l’industrie sont persuadés qu’une telle technologie sera un jour imposée par le gouvernement.

Alors que l’automatisation est susceptible de devenir un phénomène d’ampleur mondiale, elle a réalisé un démarrage fulgurant aux États-Unis. C’est pour cette raison que l’entreprise allemande Daimler a établi ses terrains d’essais dans le Nevada, où elle a pu obtenir une licence d’État. En effet, l’État de l’Ohio ayant lui-même investi 12 millions d’euros dans des centres d’essais de camions automatisés, beaucoup d’entreprises de transport routier européennes se sont tournées vers le marché américain, le voyant comme leur premier client potentiel. Ce phénomène est probablement dû au fait que l’Union européenne impose des formalités administratives supplémentaires concernant les réglementations routières et qui diffèrent selon les États membres. Toutefois, la participation du Royaume-Uni, avec un investissement de plus de 9 millions d’euros dans cette nouvelle technologie, dresse un portrait optimiste de l’avenir des camions autonomes.

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