Les camions sans chauffeur et les chauffeurs de camions : une contradiction

Suite aux investissements de plus de 810 millions d’euros dans les technologies de pilotage automatique en 2017, l’adoption du transport routier automatique devrait rapidement se développer au cours des prochaines années. Si l’on considère les avantages que cette technologie confère à l’industrie de la logistique, il y a de quoi se réjouir.

Toutefois, l’arrivée des camions autonomes entraînerait le remplacement des chauffeurs de camion, un des aspects fondamentaux du transport routier. Ce phénomène n’est pas sans les inquiéter. Goldman Sachs prévoit qu’environ 300 000 emplois de chauffeurs disparaîtront en raison de l’automatisation, tandis que les entreprises qui élaborent elles-mêmes cette technologie, comme Uber, affirment qu’elles auront besoin de plus de chauffeurs pour assurer le travail de supervision afin de répondre à l’augmentation des chargements à livrer qui résultera, grâce au pilotage automatique, de la chute des coûts de livraison. Il se pourrait même que ces deux scénarios se déroulent parallèlement.

Scénario 1 : Diminution du nombre d’emplois de chauffeurs routiers

Les limites de la personne humaine constituent un solide argument en faveur de l’automatisation. Ces limitations se traduisent notamment par le fait que les chauffeurs de camion sont limités, par exemple, à 11 heures de conduite par jour ou 60 heures par semaine, une restriction qui ne s'appliquerait pas à un camion automatisé capable, lui, d’effectuer des livraisons sept jours par semaine et à toute heure. Les êtres humains ont également besoin de se nourrir et donc de percevoir un salaire, ce qui représente 21 % des coûts opérationnels d’une entreprise de transport routier par kilomètre. Si l’on ajoute à cela les besoins de repos du chauffeur et le fait que les êtres humains ont tendance à commettre des erreurs (causant ainsi des milliers de décès chaque année dans la branche), la récente annonce de Suncor Energy Inc au sujet de son intention de remplacer 400 conducteurs d’engins de chantier par des camions sans chauffeur sur les sites d’exploitation minière de sables bitumineux, n’a rien d’étonnant.

Cependant, puisque l’on parle des limites de l’être humain, il convient de rappeler par souci d’équité que les robots, eux aussi, ont encore des lacunes en matière de raisonnement et de dextérité. Par conséquent, au stade du pilotage automatique où nous en sommes, ils nécessitent encore une intervention humaine. Les optimistes prédisent donc qu'au lieu de supprimer des emplois, les camions autopropulsés entraîneront de nouvelles et meilleures conditions de travail pour les conducteurs d’aujourd'hui et de demain.

Scénario 2 : Les emplois de chauffeurs routiers perdurent et s’améliorent

Le monde du transport routier est réputé pour être particulièrement rude. Isolement, fatigue, sédentarité et faible salaire contribuent à un fort taux de rotation de 90 % chaque année. Le salaire annuel médian étant de 32 500 euros et l’âge moyen de 49 ans, ce taux de rotation élevé est tout à fait compréhensible. Or, compte tenu du faible salaire, il y aurait lieu de s’attendre à un nombre élevé de chauffeurs routiers. Cependant la réalité est tout autre.

Rien qu’aux États-Unis, il manque actuellement 50 000 chauffeurs de camion. Un nombre qui devrait atteindre 250 000 d’ici 2022, puisque les livraisons y deviennent de plus en plus courantes. Dans ce contexte de pénurie, l’automatisation pourrait contribuer à réduire la pression à laquelle font face non seulement les entreprises logistiques mais également les chauffeurs.

Ainsi, l’automatisation pourrait répondre à cette pénurie de deux manières. Tout d’abord, en supprimant le recours à des chauffeurs auxiliaires et en autorisant les chauffeurs à travailler depuis un pseudo-centre d’appels. Dans ce cas, ils pourraient piloter entre 10 et 30 camions par journée de 8 heures, ce qui leur permettrait de travailler localement et de retrouver leur famille à la fin de la journée. Les conducteurs pourraient ainsi prendre le contrôle du camion à distance lorsque celui-ci est sur la route, par exemple à proximité d’une zone de construction ou d’un centre urbain. Ainsi, l’on réduirait dans le même temps le nombre de chauffeurs nécessaires tout en améliorant considérablement les conditions de travail des chauffeurs actuellement employés, ceux-ci pouvant être formés au travail à partir de ces centres d’appels.

Par ailleurs, le recrutement de 250 000 chauffeurs d’ici 2022 n’ayant plus de raison d’être, les camions sans chauffeur pourraient constituer la solution parfaite qui permettrait d’attirer les opérateurs manquants vers la profession. Dans les situations obligeant les chauffeurs routiers à rester dans le camion (au lieu de travailler depuis les centres d’appel), les conducteurs pourraient se reposer les yeux et se concentrer sur d’autres tâches tandis que le camion poursuivrait son chemin sur l’autoroute. Dans la mesure où les chauffeurs de camion auront la possibilité de s’occuper de tâches administratives, de découvrir de nouveaux loisirs ou de discuter avec des amis, tout en sachant qu’ils pourraient reprendre le contrôle du camion en cas de besoin (par ex. dans les zones de construction ou urbaines), le rôle de supervision qui restera à exercer attirera certainement un plus grand nombre d’opérateurs en comparaison des conditions actuelles.

Néanmoins, face à l’arrivée des camions autonomes, l’avenir des chauffeurs routiers demeure incertain. Face à une demande plus faible, la baisse des salaires déjà existante va-t-elle se poursuivre ? Ou bien assisterons-nous à une augmentation des salaires en fonction du degré de formation nécessaire au maniement de cette nouvelle technologie ? Les estimations actuelles prévoyant le besoin de 900 000 conducteurs supplémentaires durant les huit prochaines années, il est difficile de savoir où mènera l’avenir de la profession de chauffeur routier.